La falsification de l’histoire enseignée dans les programmes scolaires au Gabon
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[Partie 3] Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? La falsification de l’histoire enseignée dans les programmes scolaires au Gabon.  

4. Falsifications et orientation de l’histoire enseignée au primaire et au secondaire

a. Une histoire falsifiée et orientée racontée par l’ancienne puissance coloniale à son profit

« Ce que j’ai voulu dire c’est que l’histoire des sciences et les manuels n’ont pas fait justice au continent Africain et qu’il est important de les réécrire, de réajuster l’histoire des disciplines »
Pr. Grégoire BIYOGO, philosophe et Égyptologue gabonais

Les doutes sur la véracité de l’histoire enseignée dans les écoles du Gabon font partie des sujets majeurs dans différentes critiques sur de la construction de notre système éducatif. Mais comment le caractériser ? N’ayant pas trouvé de travaux ou d’études comparatives faisant état de falsifications dans les manuels d’histoire pour le cas du Gabon, on pas le choix d’entreprendre nous-même ce travail. Dans ce chapitre nous allons faire ressortir des cas avérés qui sont au pire, une falsification claire et nette ou au mieux, une volonté des auteurs des manuels cités d’orienter l’histoire et brouiller la compréhension des lecteurs. Pour ce comparatif, nous nous basons uniquement sur la “liste des manuels et ouvrages à caractère éducatif, recommandés dans les niveaux d’enseignement pré-primaire, primaire, secondaire, général, technique et professionnel”, pour le compte des années académiques 2022/2023 et 2023/2024 (la liste est établie par le ministère de l’éducation nationale du Gabon).  

L’abolition de l’esclavage

Mentionné dans des ouvrages Super-efficace en histoire Géographie en 5e année ou Histoire-Géographie-EMC 4e – Ed. 2021 Hachette, le 27 avril 1848, la 2e abolition de l’esclavage est décrété en France et dans les colonies françaises (après le première abolition de l’esclavage de 1794 et son rétablissement en 1802 par Napoléon Bonaparte). D’après les différents manuels officiels qu’on a consulté, l’année 1848 et le milieu du XIXe siècle marquent la fin de l’esclavage au Gabon et dans les anciennes colonie françaises. Ce qui est, en réalité, faux et différent des faits historiques. Malgré le décret d’abolition signé en 1848, l’Etat Français maintien la pratique de l’esclavage mais change la dénomination. Pour assurer ses besoins de main d’œuvre, la France, comme les autres pays colonisateurs, légalise le travail forcé et met en place le système de “l’engagisme”. Dans ce nouveau système, les populations demeurent des sujets de la puissance coloniale et ne jouissent pas du droit de s’organiser de manière libre. Les déplacement forcés des populations sont maintenus pour assurer le travail dans les plantations et des chantiers d’infrastructure. Les réquisitions de personnes et le travail forcé sont maintenus, légalisés, et pratiqués par l’État français lui-même et les entreprises françaises. Plusieurs faits permettent d’attester du maintien de l’esclavage dans les faits. Parmi les plus connus, entre 1921 et 1934 (plus de 73 ans après les abolitions officielles), pour la construction de la ligne de chemin de fer « Congo-Océan », l’Etat français réquisitionne plus de 127.000 personnes « du Congo jusqu’au Tchad », qui vont être soumis au travail forcé pour un bilan d’au moins 17.000 morts (chiffres officiels). Durant les 2 guerre mondiales, des millions d’africains ont été réquisitionnés pour “participer à l’effort de guerre” assurant la production de denrées alimentaires pour les besoins de la métropole française et combattant pour la France. Pour le cas du Gabon, c’est surtout pour ses besoins l’exploitation forestière que la France réquisitionne le plus de bras. Ce n’est qu’en 1946 que le travail forcé sera aboli, marquant la vraie abolition de l’esclavage, en réponse à la montée des mouvements indépendantistes après la seconde guerre mondiale.   

Travailleurs forcés. Source : « Congo-Océan, un chemin de fer et de sang ».© Point du Jour/ Les Films du Balibari / ZED

Dans sa Convention relative à l’esclavage 1926, la Société des Nations (actuelle ONU) défini l’esclavage par « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » des attributs incluant le travail forcé, la privation de liberté, les déplacements forcés. Une définition qui correspond parfaitement à l’état du travail dans les colonies françaises. Dans ce cas les auteurs des manuels ne souhaitent par rendre compte de l’histoire et des faits mais se contentent des décrets signés par la France pour établir le récit. Ils s’alignent sur la communication de l’état français et installent un récit qui ne correspond pas à la réalité des faits.

La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb 

A la page 96 du livre d’Histoire-Géographie 2nde, éditions Hatier, on peut lire la phrase suivante : « Parti vers l’Ouest à la demande des rois d’Espagne, Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492. ». Même en voulant lire l’histoire uniquement à travers des yeux européens, l’affirmation reste extrêmement malhonnête. En 1960, l’archéologue norvégienne Anne STINE INGSTAD et son mari l’explorateur Helge INGSTAD, découvrent le site Viking de L’Anse aux Meadows en Amérique du nord. Un site qui a permis de dater des voyages de peuples scandinaves vers l’Amérique vers l’an 1000. D’autres études sur l’introduction de la patate douce dans le Pacifique Sud (dont The Sweet potato in Oceania: a reappraisal de Chris Ballard, Paula Brown, R. Michael Bourke et Tracy Harwood) a permis d’attester que les peuples polynésiens ont navigué vers l’Amérique et échangé avec des peuples d’Amérique du sud. Les voyages les plus récent des polynésiens ont été datés aux années 1000 après J.C. Bien avant les cas cités plus haut, de manière absolue, l’arrivée des premiers hommes continent américain entre 30.000 et 15.000 avant J.C, ayant nécessité des moyens de navigation, les indices de présences d’Africains ayant débarqué à plusieurs reprises sur le continent avant les explorations européennes excluent de fait une découverte du continent par Christophe Colomb en 1492.

La définition des grandes périodes historiques

A la page 16 du guide pédagogique Super-Efficace en Histoire Géographie Citoyenneté 4e année, éditions EDIG-EDICEF,  on peut lire ceci : « Cerner les grandes périodes de l’Histoire permet de donner des repères. (…) Cette périodisation, utile pour donner du sens à l’Histoire (…)  repose sur des grands marqueurs : l’Antiquité débute il y a environ 5 000 ans (- 3 200 avant J.-C.). Elle correspond à la fin de la Préhistoire avec l’invention de l’écriture. Elle prend fin à la chute de l’Empire romain en 476 et débute alors le Moyen-Âge. Celui-ci dure jusqu’à la découverte de l’Amérique en 1492. Suivent les Temps modernes, qui courent jusqu’à la Révolution française. L’époque contemporaine lui succède, qui s’étend jusqu’à nos jours. Ce découpage n’empêche pas que d’autres périodisations se superposent. ». Ce découpage eurocentré comprend don le 4 grandes périodes historiques qui sont : la Préhistoire, le Moyen-âge, les Temps Modernes et l’Epoque contemporaine, toutes marquées par des dates importantes de l’histoire européenne. Cette approche reflète une vision du monde qui place l’Europe au centre de l’histoire humaine, ce qui peut occulter ou minimiser l’importance des événements et des développements dans d’autres régions du monde. Est-il pertinent, dans notre cas, d’enseigner à des jeunes africains une histoire qui place l’Europe au centre de l’évolution humaine ? Cette vision de l’histoire, héritée de l’époque coloniale n’a plus de raisons d’exister dans une Afrique post-coloniale souhaitant bâtir son développement. L’histoire de l’Afrique étant marquée par des événements importants de l’évolution humaine comme l’apparition des premiers hommes, la naissance des premières grandes organisations humaines, la naissance des sciences, de l’agriculture, la construction de grands royaumes, une approche afro centrée a toute sa place dans l’éducation africaine.

Plus largement

Ce traitement se reflète également dans les expressions qui sont utilisées. Le terme « pacification » est utilisé pour décrire les répressions souvent brutales et meurtrières contre les rebêlions des locaux à l’encontre des colonisateurs. En mathématiques, le célèbre théorème de Thalès et la propriété de Pythagore, attribués aux grecs, sont en réalité créés et utilisés depuis l’Egypte pharaonique. La réquisition forcé de soldats durant les deux guerres mondiales est présenté comme un engagement des combattants africains pour en vue de défendre la France. La fin de l’esclavage et de la colonisation sont présentés comme des abolitions signées par la France. En réalité, la signature des indépendances a d’abord été contrainte par les révoltes répétées menées dans les colonies par les groupes indépendantistes, notamment aidés par les positions anti-colonialiste de l’Union Soviétique qui aboutit à la résolution 1514 (XV), déposée à l’ONU par Nikita Khrouchtchev (Chef de gouvernement de l’Union soviétique), a conduit à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de l’ONU en 1960.

De plus, le récit qui est construit ne permet pas de comprendre les enjeux et la construction des systèmes esclavagistes et coloniaux. Aider à défaire l’emprise coloniale, c’est d’abord comprendre les outils et les mécanismes qui ont contribué à ce système. C’est aussi comprendre le rôle joué par l’église catholique en approuvant dans un premier temps l’esclavage et la traite négrière puis en participant à entreprise coloniale par le conquête morale et l’aliénation culturelle par le biais de la religion, vu l’importance de cette dernière dans nos sociétés actuelles. C’est également comprendre l’importance qu’ont eu la cartographie des ressources du sol africain et le besoin de séparer certaines populations à des fins de contrôle dans le découpage des frontières pendant la conférence de Berlin en 1885.

Considérant l’importance de l’histoire dans la compréhension du présent, construction d’un récit national, il est inconcevable qu’un récit traité de la sorte soit enseigné à l’école. D’où l’importance pour un Etat d’avoir un contrôle sur son système éducatif et de l’adapter à ses besoins. 

b. A quelles fins

« L’école dans les colonies aura surtout permis d’asseoir la domination des colonisateurs. Finalement, il n’aura jamais été question de « former des citoyens éclairés » mais plutôt de simples auxiliaires à la domination française. » Carole REYNAUD-PALIGOT, historienne et professeur d’Histoire et de sociologie à l’université de Bourgogne

Après avoir parcouru différents manuels d’histoires, pris en compte les intentions de auteurs, l’évolution de l’enseignement depuis les décolonisations et les principaux acteurs qui l’influencent, nous déduisons que l’enseignement de l’histoire permet de mettre en évidence les objectifs suivantes : 

– Minimiser les apports scientifiques, culturels, philosophiques des peuples et civilisations africains dans l’évolution du monde (l’écriture, la philosophie, la médecine, les sciences, …)

– Positionner les civilisations européennes au centre des avancées ayant permis l’évolution de l’humanité. Accorder aux civilisations européennes la primauté sur les avancées ayant conduit au progrès humain. Et par conséquent induire une supériorité des normes et cultures européennes sur celles issues du reste du monde. Inculquer aux élèves une vision centrée sur l’Europe au détriment de leur paradigme. Ce qui est à la base d’une domination culturelle.

– Minimiser l’impact et les conséquences des actions et horreurs commises en Afrique par les Etats européens dont la France durant la traite négrière et la colonisation. Orienter les récits historiques en choisissant de modifier ou d’occulter la réalité derrière l’idéologie et les intérêts qui ont motivé l’action européenne de l’époque jusqu’à nos jours.

– Mettre en avant des bienfaits supposés apportés par les colons pendant l’esclavage et la colonisation. A croire que l’asservissement d’un peuple par la privation de liberté, l’esclavage, des meurtres de masse et le travail forcé peut être atténué l’apports de la « civilisation européenne ».

De notre point de vue, aucune raison sensée ne justifie le fait que l’éducation et les programmes pédagogiques soient dans la continuité de ceux qui a été mis en place pendant la colonisation par la France et que les manuels scolaires aient été laissés aux mains des mêmes éditeurs français et ce jusqu’à nos jours. Et ce lorsqu’on met en parallèle le rôle attribué à l’école dans la défense des intérêts coloniaux de la France avant les “indépendances”. Des intérêts qui sont par essence opposés aux besoins de développement des nations africaines.

A suivre…

Par Leynart MASSIMBA
Ogooué Education

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