[Partie 6] Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? Vers un enseignement centré sur le Gabon, l’Afrique et les besoins nationaux.
7. Vers un système éducatif afro-centré (ou porté par un regard et des solutions endogènes) ?
Le dictionnaire Le Robert définit la souveraineté comme le caractère d’un État qui n’est soumis à aucun autre État. Autrement dit, la capacité d’un Etat à faire respecter ses intérêts et à protéger son mode de vie. Pour un Etat, la souveraineté nécessite la capacité à s’affirmer sur les plans économique, culturel, alimentaire, de la défense, etc… Être en mesure de pouvoir puiser en son sein les éléments nécessaires à son fonctionnement (ressources énergétiques, intellectuelles, alimentaires, …) est pour un Etat, l’une de bases de sa quête de souveraineté. Un système éducatif qui favorise la préservation des intérêts nationaux peut contribuer de manière efficace à une quête de souveraineté.
Parler d’une école afro-centrée, c’est parler d’une école construite sur la base d’un paradigme africain et qui oriente la boussole des apprenants vers les réalités africaines. L’éducation afro-centrée place l’Afrique et ses peuples au centre de l’analyse historique, culturelle, et sociale. Elle valorise les histoires, les cultures, les langues, et les traditions africaines, ainsi que celles des communautés afrodescendantes à travers le monde.
a. L’Afrique et ses civilisations vieilles de plusieurs millenaires comme base de l’enseignement de l’histoire
« L’éducation des peuples africains est une nécessité pressante. C’est une question de vie ou de mort ? Nous ne devons plus permettre une nouvelle génération d’enfants n’ayant aucune identité et ignorant tout de l’Afrique »
L’histoire millénaire du continent et de ses différentes régions nous offre une base considérable pour l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les écoles. Elle offre une opportunité unique de forger une identité collective, de valoriser les patrimoines culturels locaux, et de déconstruire les stéréotypes hérités de la colonisation. L’enseignement peut être enrichi par une meilleure connaissance des peuples (bantous, peuls, pygmées, …), des royaumes (Egypte pharaonique, royaume Kongo, royaume de Koush, empire du Ghana …) et des personnages importants (Soundiata Keïta, Toussaint Louverture, Nzinga Mbande, Zumbi dos Palmares, Thomas Sankara, …) de l’histoire du continent.
Un enseignement de l’histoire basé sur une compréhension des dynamiques ayant conduit à l’Afrique actuelle dans les programmes scolaires est essentielle pour redonner aux Africains le contrôle de leur récit historique, nourrir un sentiment de fierté et d’appartenance et préparer les jeunes générations à affronter les défis contemporains avec un regard ancré dans leur propre héritage culturel et historique. Cela demande des efforts concertés pour développer des curricula adaptés, des matériels pédagogiques adaptés et une formation continue des enseignants sur ces thématiques.
b. L’identité propre comme base de la socialisation et de la communauté nationale
« L’identité est l’une des questions cardinales de la vie et dans la vie d’un être humain. En effet, lorsqu’on a tout appris dans le monde et du monde, et que l’on ne sait rien sur soi-même ; l’on n’a rien appris. Car la première et la plus importante des connaissances, est la connaissance de soi. Auquel cas, on n’est pas autre chose qu’un aliéné.
Voilà pourquoi, il est crucial que l’école afrocentrée mette un accent particulier sur l’étude de l’identité Africaine par le truchement de sa culture multidimensionnelle …
C’est aussi dire que l’identité est ce qui constitue notre spécificité en tant qu’être humain (pris individuellement), et ensuite, en tant que groupe humain, en tant que peuple parmi d’autres peuples. L’identité implique donc un référentiel culturel propre à soi, un paradigme propre à soi. C’est-à-dire, propre à son univers culturel et identitaire. » Stephan KONDA MAMBOU, Main basse sur les programme d’enseignement ? , editions Edilivre, 2020.
Partant de ce principe, il est possible, sur la base de l’identité propre des peuples, de construire une philosophie commune, une justice, une vision, une éducation civique, …
c. L’apport des techniques et savoir-faire traditionnels
« on (les européens) ne pouvait pas accepter que les noirs aient été dépositaires de ces cultures, de ces pyramides, des mathématiques, de la philosophie, de la médecine. Ce n’était pas possible de l’accepter dans le contexte colonial et néocolonial »
Pr. Grégoire BIYOGO
Les sciences et techniques endogènes peuvent, dans des bien précis, nous offrir des solutions déjà éprouvées dans le temps. Les connaissances, accumulées et transmises sur des générations, dans des domaines variés (agriculture, médecine, construction, justice, …), sont le reflet d’une profonde compréhension de l’environnement naturel, des écosystèmes, et des dynamiques sociales. L’intégration des techniques ancestrales africaines dans l’enseignement scolaire peut enrichir l’éducation en offrant des perspectives et des approches uniques qui valorisent les savoirs traditionnels. Ces techniques, ancrées dans des pratiques culturelles et historiques riches, peuvent être adaptées pour répondre aux besoins actuels tout en préservant et en valorisant l’héritage africain.
Le cas Yacouba SAWADOGO, “l’homme qui a stoppé le désert” :
Né en 1946, Yacouba SAWADOGO est un agriculteur et commerçant burkinabé connu comme étant l’homme qui stoppé l’avancée du désert dans son village de Gourga, situé dans la légion du Yatenga au nord du Burkina Faso. Dans les années 80, son village est confronté à une sècheresse et une désertification continue des sols qui touche plus généralement le nord du pays et met à mal la production agricole, provoque des famines et entraine des migrations de populations vers d’autres régions. Il décide de se tourner vers la technique ancestrale nommée “zaï” qu’il améliore. La technique consiste à creuser des trous dans le sol, les remplir de composte et se servir de pierres pour guider l’eau de pluie. Il entretien également une population de termites qui va creuser le sol afin de le rendre poreux pour mieux retenir les eaux de pluie. Le tout permet de mieux capter l’humidité et de d’irriguer le sols. La technique lui permet d’améliorer le rendement des sols et permet de faire pousser une foret qui s’étend sur 40 hectares aujourd’hui. La production agricole repart de l’avant permettant de régler les problèmes de famine. Il passe ensuite sa vie à transmettre ses techniques qui se diffusent dans son pays et dans d’autres régions désertiques du continent. Son travail lui vaut une reconnaissance nationale puis internationale marquée par le prix Nobel alternatif, le “Right Livelihood Award” en 2018 à Stockholm. Il décède en décembre 2023 en étant l’un des symboles de la richesse des techniques ancestrales et laisse derrière lui un héritage qui lui a valu d’être régulièrement célébré durant son vivant et après sa mort dans son pays d’origine.
Conclusion
Quel doit être la finalité des systèmes éducatifs locaux ? Devons nous célébrer des africains quand ils brillent pour des institutions étrangères ? Un africain qui travaille pour la NASA sert fondamentalement l’intérêt américain. Si cette situation a le mérite de démontrer que notre continent regorge de cerveaux brillants. La question est complexe car elle doit prendre en compte les contextes locaux, du besoin d’acquérir de nouvelles compétences et les différentes manières de servir l’intérêt de sa nation.
Dans les cultures africaines, le rapport à la nature est caractérisé par un respect profond et une reconnaissance du rôle vital de la nature dans la vie humaine, conduisant à une sacralisation de cette dernière. Quel intérêt de puiser ailleurs le contenu de l’initiation à la préservation de la nature dans l’enseignement scolaire quand les cultures locales savent nous apporter le matériau de base ?
Les problèmes anciens persistent encore aujourd’hui et les changements annoncés récemment sont peu convaincants. Le déploiement de l’Approche par la Compétence (APC) au collège après son intronisation dans l’école primaire, dont la pertinence pose question, est encore une initiative de l’UNESCO. La refonte des manuels scolaires annoncée pour l’école primaire, la 6e et la 5e sera portée l’éditeur EDICEF via sa filiale EDIG. Un symbole de la continuité.
L’objectif de cet article était de proposer une analyse de l’évolution du système éducatif actuel, ses finalités et les obstacles à la naissance d’une école taillée pour contribuer à l’essor du pays, entre manque de financements, inaction de l’administration publique, absence de réformes et influences étrangères. Parce que les écoliers d’aujourd’hui sont forces vives de demain et leur enseignement répond à des enjeux politiques, culturels, économiques, l’éducation nationale mérite une attention et un traitement à la hauteur de son rôle.
Fin.
Par Leynart MASSIMBA
Ogooué Education