Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? Comment comprendre les problèmes du système éducatif gabonais (et des anciennes colonies françaises) ?
Comment situer le rôle et l’importance du système éducatif dans l’évolution et le développement d’un pays ? Comment rendre l’enseignement utile au développement humain, économique et social du Gabon ? Dans un interview parut le 07 janvier 2024 sur la chaîne nationale Gabon Première, le Ministre de l’enseignement supérieur déclarait ceci : « l’Université gabonaise est un projet politique … un projet pour assurer à notre pays une certaine souveraineté. C’est d’ailleurs le rôle fondamental de toute université ». Cette citation nous plait bien car elle peut s’appliquer au système éducatif dans son ensemble. Elle permet de positionner, sur le plan politique, le rôle de l’enseignement dans l’évolution de la nation. Qu’en est-il des résultats ?
Dans l’histoire du Gabon ‘’indépendant’’, les premières grandes résolutions dans le domaine de l’éducation ont été adoptées lors de la participation du pays à la Conférence d’États africains sur le développement de l’éducation en Afrique de 1961 à Addis-Abeba. Une conférence principalement à destination des Etats africains ayant obtenus leurs indépendances autour des années 1960 et qui a positionné l’enseignement comme étant « une des bases du développement économique et social ».
Aujourd’hui, lorsqu’on parcourt les publications, articles et déclarations concernant le système éducatif gabonais. L’impression laissée est généralement négative. Il existe quelques publications qui mettent en avant les « bons résultats » obtenus par le Gabon, comme avec le rapport du PASEC (un organe de la Conférence des ministres de l’Éducation des États et Gouvernements de la francophonie), mis en avant par la Ministre de l’Education Nationale, qui classe le Gabon à la 1ère position des pays ‘’positionnant en fin de cycle la majorité de leurs élèves au-dessus du seuil « suffisant » de compétence en mathématiques‘’ et 2ème position du classement général parmi les 14 pays membres de la COFEMEN. Pour le reste, les avis sont généralement négatifs. Les problèmes récurrents sont l’inadéquation entre les formations et le marché de l’emploi, les grèves à répétition, le taux de saturation des écoles ou le manque d’équipements dans les établissements à tous les niveau d’enseignement. Si on superpose ces avis à l’absence de développement économique et social du Gabon depuis son indépendance, il est évident que le système éducatif gabonais actuel est en situation d’échec à sa mission.
Peut-on honnêtement et objectivement espérer un développement sans un système éducatif capable de produire des individus taillés porter l’ambition du continent et du pays ? Et face à l’absence de réformes des programmes pédagogiques depuis l’indépendance du pays, que peut-on attendre d’une école conçue et développée pendant l’époque coloniale pour servir les intérêts de la France (puissance coloniale de l’époque) ? Quels changements faut-il apporter et quelle orientation donner à l’enseignement pour une école capable de répondre aux préoccupations du Gabon ?
1. L’importance et la fonction du système éducatif pour un pays
a. L’enseignement comme représentation de l’ambition d’une nation
« Si le siècle prochain doit être celui de l’Afrique, celui du progrès économique et social du peuple Africain, marqué par une paix et un développement ; alors le succès de cette entreprise dépend de la réussite de nos systèmes éducatifs ». Thabo Mbeki, président sud-africain, en décembre 1999.
A l’instar des secteurs essentiels à la construction d’une nation, le système éducatif reflète les choix politiques qui sont opérés en amont. On choisit le contenu ce qui est enseigné aux apprenants, on hiérarchise l’importance des disciplines, on choisit l’histoire qui doit être transmise et la manière de présenter le récit historique. L’enseignement doit être conçue pour apporter des réponse aux défis politiques, économiques et sociaux sur à court, moyen et long terme selon les objectifs définis dans l’intérêt de la nation. C’est un atout inestimable s’il est bien pensé et il peut être fardeau s’il est mal conçu. A l’échelle d’une nation, ces orientations sont le résultat de décisions (ou de l’absence de décisions) politiques et économiques prises localement ou venant de l’extérieur.
En effet, si on considère que chaque enfant d’aujourd’hui, adulte de demain, est un maillon important de la chaîne qui doit assurer la marche en avant du pays et du continent, les choix effectués dans la construction de ce dernier sont de la plus haute importance. Si l’éducation dispensée produit des maillons défaillants, la tâche ne sera que plus insurmontable.
L’école est également un moyen par lequel une nation transmet ses valeurs, son histoire, et sa culture aux générations futures. Elle forge l’identité nationale en inculquant des idéaux communs et en renforçant le sentiment d’appartenance. Une jeunesse privée des clés de compréhension des problèmes économiques, historiques, politiques et sociaux du pays ne peut tenir son rang et œuvrer efficacement pour l’accomplissement de sa mission. Peut-on transformer la société sans une transformation nette des programmes enseignés aux enfants ?
b. L’importance de l’enseignement de l’histoire dans une nation
« L’histoire n’est pas tout mais elle est le commencement. L’histoire est l’horloge que les peuples utilisent pour dire l’heure politique et culturelle. Elle est également la boussole que les peuples utilisent pour se trouver sur la carte de la géographie humaine. » John Henrik Clarke
L’histoire n’est pas une discipline neutre. Les faits sont ce qu’il y a de concret et réel mais la sélection des événements et manières de les raconter résultent de choix et d’orientations qui sont faits en amont. Une connaissance de l’histoire, des événements marquants dans l’évolution d’un pays permet une analyse éclairée des dynamiques actuelles et des problèmes du présent. En ce sens l’histoire est l’une des matières fondamentales dans la construction d’un système éducatif. L’enseignement de l’histoire permet de positionner les individus dans l’évolution du récit national. Il aide à la construction d’une mémoire collective, à la construction d’une identité nationale, à la transmission des valeurs nationales, aide au développement d’une pensée critique et prépare une jeunesse à ses défis futurs.
L’histoire permet de façonner la mémoire collective, l’ensemble des connaissances et des représentations faites du passé partagés par un groupe, une communauté ou une nation. Elle englobe les événements importants, les personnages marquants, les lieux et les récits qui ont marqué l’histoire commune et qui sont transmis de génération en génération. Cette mémoire, souvent construite à travers l’éducation, les commémorations, les monuments, et les récits historiques, joue un rôle clé dans la formation de l’identité collective. Elle peut être influencée par la culture, les valeurs et les perspectives de ceux qui la font vivre. En fonction de ces facteurs, la mémoire collective aide à créer un sentiment d’appartenance, à la transmission de valeurs, à la quête d’objectifs communs en donnant aux individus un lien à travers une histoire et un héritage commun.
2. L’origine coloniale du système éducatif et des programmes scolaires actuels
a. L’origine coloniale de notre système éducatif (Mission civilisatrice, …)
«La population européenne … ne doit-elle pas civiliser ou faire disparaître, même sans conquête, les nations sauvages qui y occupent encore de vastes contrées ? » Condorcet
Pour mieux comprendre d’où vient l’école que nous connaissons actuellement au Gabon et dans les anciennes colonies françaises et les objectifs de son implantation, il est nécessaire de faire un retour en arrière, plus précisément à l’époque de la colonisation. Si la scolarisation et l’enseignement colonial ont été introduit durant le XIXe siècle dans les colonies françaises avec l’installation des premiers instituteurs, c’est au tout début du XXe siècle que l’administration coloniale française met en place et structure son système éducatif dans les colonies d’Afrique subsaharienne. D’abord en Afrique de l’ouest (ancienne AOF), en partie, avec pour objectif de contrer l’influence de l’enseignement islamique et conforter la domination française dans la région, puis dans les pays en Afrique centrale. Le tout s’inscrivant également dans le cadre de la « Mission Civilisatrice », une idéologie portée par l’état français dans le but d’apporter la civilisation européenne aux peuples africains « indigènes » considérés comme étant « païens », « sauvages » et « barbares » comme le déclarait Jules Ferry dans son discours à la Chambre des députés le 28 juillet 1885 : « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».
C’est dans les années 1840 que la première école coloniale s’installe au Gabon et dans l’espace AEF (Afrique Equatoriale Française). La première école catholique française au Gabon ayant ouvert en Janvier 1845. A sa mise en place, l’enseignement se concentre sur l’agriculture et l’apprentissage des métiers. L’objectif pour l’Etat français était d’assurer une certaine autonomie sur le plan alimentaire et technique aux colons installés dans la région et réduire les besoins d’approvisionnements constants depuis la métropole. A des fins purement utilitaires, le contenu de l’enseignement était volontairement dégradé et limité à quelques notions élémentaires dans des matières tels que le français et les mathématiques.
L’enseignement va ensuite progressivement évoluer, et au début des années 1900, la frustration manifestée au sein des populations africaines va pousser la métropole à adapter son modèle. « L’école rurale » va se développer après la première guerre mondiale. Son but était de toucher le monde paysan et le porter vers la « modernité ». C’est également dans cette période que les premiers étudiants quittent le continent pour étudier en France. Après la seconde guerre mondiale, les révoltes populaires prennent de l’ampleur et les populations réclament un traitement plus égalitaire, notamment dans l’éducation, et poussent à nouveau la France à s’adapter. Un enseignement calqué sur le modèle existant en France métropolitaine va être déployé et c’est le modèle qui sera la référence jusqu’aux indépendances. C’est l’émergence de l’enseignement secondaire. Le contenu de l’enseignement va reprendre ce qui se faisait en occident en trainant un certain retard et certains contenus vont être adaptés aux populations colonisées. L’enseignement de l’histoire sera spécialement réécrit et falsifié pour façonner le regard des africains vis-à-vis de la France. L’histoire de la France et les civilisations européennes doit ainsi occuper une place centrale dans l’enseignement. C’est dans ce sens qu’en 1924, Jules Cadre, administrateur colonial ayant occupé de nombreux postes comme celui de Lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo ou encore gouverneur général de l’AOF (Afrique Occidentale Française), déclarait dans une circulaire fixant l’organisation de l’enseignement dans les colonies : « L’histoire, et surtout celle de la France, doit être enseignée aux indigènes des colonies, en particulier aux Noirs d’Afrique […] Peuvent-ils ignorer tout de la France et des Français avec lesquelles ils sont en relation journalière et qui leur ont apporté la sécurité et la prospérité ? Il faut donc faire connaître aux Noirs l’histoire de la France et celle de leurs pays. ».
b. Les objectifs de l’enseignement colonial (et du contrôle des systèmes éducatifs)
« Dans une société coloniale, l’éducation est faite pour soutenir le colonialisme. Dans un régime esclavagiste, l’éducation n’et pas autre chose qu’une institution destinée à former des esclaves. » extrait du livre Main basse sur les programmes d’enseignement par Stephan KONDA MAMBOU
Une compréhension des finalités du colonialisme est nécessaire pour situer le rôle de l’école dans l’entreprise coloniale. Premièrement, la colonie existe pour enrichir et faire rayonner la puissance dominante. La colonie lui fournit matières premières, denrées alimentaires, ressources humaines, … Tout ce qui est utile au développement du colon. L’école coloniale, dans sa conception, avait pour but d’éduquer les populations africaines selon ce que la puissance coloniale attendait d’eux. Des sujets reconnaissants l’autorité et la supériorité de colonisateur et travaillant à l’enrichissement de ce dernier. Pour soutenir le colonialisme, l’enseignement devait remplir certains objectifs comme la formation de subalternes pour l’administration coloniale et la conquête morale des populations africaines.
La formation de subalternes : le cas des « semi-lettrés »
Le cas de ceux qui étaient couramment appelés « semi-lettrés » permet d’illustrer ce point. Leur enseignement devait leur permettre d’acquérir une instruction suffisante leur permettant d’affirmer une autorité sur le reste de la population sans jamais atteindre le niveau d’instruction des colons français. Il n’était pas question de pouvoir concurrencer le maître « blanc » ou d’obtenir un quelconque diplôme. Ils étaient sélectionnés et formés pour être des interprètes, des ouvrier, des gardes ou même des sous-chefs… Ils étaient nécessaires aux colons, leurs permettant notamment de faciliter les communications à destination des populations. Ils étaient les relais privilégiés, chargés de faciliter la tâche des administrateurs coloniaux.
La conquête morale des populations colonisées
La conquête morale est un processus par lequel une puissance ou un état colonial impose ses valeurs, ses croyances, et son idéologie à une population de culture différente, par l’usage de la force si c’est nécessaire. Dans le contexte de la colonisation, cela implique d’imposer la langue, la religion, les normes culturelles, sociales, et le système économique de la puissance colonisatrice aux populations à conquérir. Les systèmes éducatifs, en plus l’église, étaient parmi les outils privilégiés pour mener la conquête morale des africains. Les colonisateurs établissaient des écoles dans lesquelles l’usage des langues locales étaient interdits et sanctionnés et où les langues, l’histoire et les valeurs des colonisateurs étaient le norme. La finalité était d’inculquer aux enfant l’amour de la France, effacer des mémoires les horreurs commises sur les populations par la France depuis l’esclave, créer un sentiment de supériorité culturelle et morale vis-à-vis des africains et les soumettre intellectuellement. C’est dans ce sens que Louis Solonet et André Pérès, auteurs du manuel d’histoire “Moussa et Gi-Gla” distribué et utilisé en AOF pendant la colonisation, déclaraient : « nous avons poursuivi un triple but : Compléter l’instruction de l’écolier africain au point de vue de la lecture tout en l’intéressant et en l’amusant […] aider à son éducation morale, sociale et pratique […] lui faire connaître et aimer la France, lui montrer notre pays comme le plus glorieux, le plus avancé en civilisation, le premier tout autant par le courage de ses soldats que par les mérites de ceux qui l’ont illustré, particulièrement de ceux qui ont apporté en Afrique occidentale la prospérité et le progrès. « L’Afrique produit des hommes », disait Faidherbe. Faisons de ces hommes des Français heureux et fiers de l’être ».
3. 1960, indépendances et absence de changement : la continuité
a. L’absence de réformes des contenus de l’enseignement depuis la colonisation
« Avait-on sérieusement évalué la porté de l‘école coloniale ? Avait-on fait le tri sur l’ensemble des programmes d’enseignement en vue d’élaborer de nouveaux programmes et de ce fait donner une nouvelle orientation au système éducatif ? » Stéphan KONDA MAMBOU, auteur de l’ouvrage “Main basse sur les programmes d’enseignement”
Etant en mesure d’évaluer le rôle de l’éducation dans le système colonial et ses conséquences sur l’évolution des peuples, il nous paraît évident de penser qu’au lendemain des indépendances, les nouvelles autorités aient pris la mesure de l’importance du sujet. Pour ainsi travailler à une refonte du système éducatif en vue de défaire le formatage des esprits, la mentalité installée durant l’emprise coloniale française et restaurer une identité nationale fondée sur la culture et les aspirations des peuples gabonais. La réalité est bien différente. Les programmes d’enseignement n’ont connu aucune refonte significative depuis l’époque coloniale même si des projets de réforme ont souvent été annoncés au fil des décennies. Pour le comprendre, passons en revue quelques événements marquants l’année 1960.
23 juin 1956, Loi cadre Defferre : Une illusion d’autonomie
En 1956, pour tenter de calmer les mouvements indépendantistes et installer « un climat de confiance », la loi N°56-619, dite loi-cadre Defferre, est votée par l’état français. Cette loi accorde une “certaine autonomie” aux peuples colonisés dans la gestion de leurs territoires. Toutefois, les domaines jugés importants tels que l’économie, la monnaie, la sécurité ou l’éducation restaient sous le contrôle français. Les populations africaines sont ainsi privées du droit d’organiser elles-mêmes leur éducation.
17 août 1960 : l’Indépendance (ou pas)
Le 17 août 1960 une série d’accords (souvent nommés accord coloniaux) sont conclus entre la France et le Gabon lors de la déclaration d’indépendance. Ces accords prévoient notamment que le français reste la langue d’enseignement en république gabonaise. Les accords économiques ouvraient le marché gabonais aux éditeurs français sans restriction, facilitant une distribution au sein des écoles de manuels français reprenant un contenu identique à celui qui était pendant la colonisation. Allant dans le sens d’un maintien de l’influence française, ces accords ont également inclut la formation en France de la classe dirigeante gabonaise par l’octroi de bourses d’études (article 1 des accords de coopération en matière d’enseignement supérieur) ou en facilitant l’admission des étudiants gabonais comme indiqué dans les textes : « En outre, pour hâter la formation des cadres supérieurs de la République gabonaise, la République française, sur demande de la République gabonaise, s’engage à admettre, au titre de stagiaires dans ses établissements d’enseignement supérieur les étudiants gabonais titulaires des diplômes exigés » Article 3 des accords de coopération en matière d’enseignement supérieur du 17 août 1960 (des accords identiques sont signés avec d’autres anciennes colonies françaises).
Du 5 au 25 mai 1961 : Conférence internationale de l’Unesco à Addis-Abeba
En 1961, un an après la vague “d’indépendances” de l’année 1960, se tient un Congrès des ministres de l’éducation des pays d’Afrique francophone pendant la Conférence internationale de l’UNESCO à Addis-Abeba. De nombreux pays africains fraichement “indépendants” étaient représentés (Cameroun, République du Congo, RDC, Gabon, Ghana, Guinée, Mali, …), invités à dresser un inventaire des actions à mener pour développer une école adaptée aux besoins de développement des pays africains. A l’issue de la conférence plusieurs objectifs sont fixés à l’horizon 1980, parmi les plus importants, on a :
– Mettre en place une éducation de base accessible à tous les enfants ;
– Procéder à l’analyse des besoins en matière d’éducation, le financement et la mise en place de nouveaux programmes d’enseignement adaptés aux objectifs de développement du continent.
Loi 16/66 du 09 août 1966 : L’organisation du système éducatif gabonais
En 1966, la N°16/66 portant sur l’organisation générale de l’enseignement en république du Gabon entre en application. Le texte de loi porte principalement sur l’accès à l’éducation pour les enfants de 6 à 16 ans et sur l’organisation des différents cycles d’enseignement. Il organise l’école maternelle, l’école primaire, l’enseignement secondaire. Sans oublier l’enseignement technique et les formations professionnelles sensé former aux activités productrices. Aucune mention sur la refonte des programmes d’enseignement, le sujet semble ne pas avoir eu un caractère urgent.
1983, Les états généraux de l’éducation et de la formation : pour une école plus productive
Un an après une série de recommandations en matière d’éducation de l’UNESCO adressées au Gabon dans un document intitulé « Réforme et rénovation de renseignement » (1982), les premiers Etats généraux de l’éducation et de la formation organisée en 1983 sous la présidence d’Omar BONGO. Pami les conclusion, on note les besoins de régler le manque d’adéquation entre l’enseignement professionnel et les besoins du marché du travail, le réduction du taux d’échec scolaire ou encore le développement de la technique pour aider au développement économique. Vu l’ampleur et l’importance accordée à cet événement, on aurait pu s’attendre à des annonces concernant la refonte des programmes d’enseignement, en réponse aux objectifs fixés à l’issue des conférences de l’UNESCO de 1961 et 1964. Le sujet semble ne plus faire partie des priorités à ce moment.
17 et 18 mai 2010, deuxièmes états généraux de l’éducation : une version améliorée
En 2010, 27 ans après l’édition précédente, les Etats généraux de l’éducation, de la recherche et de l’adéquation formation-emploi sont organisés sous la présidence d’Ali BONGO. Dans ses conclusions, cette édition reprend une part importante des résolutions de l’édition précédente. En complément on retrouve de nouvelles résolutions comme la volonté de favoriser l’apprentissage de l’anglais depuis l’école primaire, l’introduction des langues nationales dans l’enseignement et un renouvellement des curricula de formation. Cette fois l’Etat annonce un projet de refonte et d’enrichissement des programmes d’enseignement (présentés sous terme curricula). Le projet est chiffré à hauteur de 2,747 milliards de FCFA et prend en compte l’enseignement de l’école maternelle au secondaire (366 millions pour le pré-primaire, 642 millions pour le primaire, 870 pour le secondaire et 869 millions pour l’enseignement professionnel et technique). Une annonce appelée à être concrétisé par projet de loi.
Août 2018, Lancement de la Task-Force présidentielle pour la réforme du système éducatif : Le passage à l’acte 58 ans apprès “l’indépendance” ?
Dans son discours à la nation du 16 août 2018, dans la continuité des états généraux de 2010, Ali BONGO ONDIMBA, président en exercice à l’époque, déclarait : « Notre système éducatif est en panne. Nous devons le réformer. J’en appelle ici comme ailleurs à une transformation en profondeur, car tout doit être remis à plat. … J’annonce également la mise en place dans les tous prochains jours d’une task-force sur l’Education. Celle-ci sera chargée de faire des propositions fortes, concrètes et d’application immédiate. ». Un moi après l’annonce, la Task-Force évalue son besoin de financement à 1,250 milliards de FCFA. Se pose ainsi la question financement, présenté dans les différentes actualités l’un des défis majeurs à la réalisation du projet. La France, souhaitant être impliqué dans le projet, manifeste son intérêt par l’intermédiaire de l’AFD (Agence Française de Développement) le mois suivant. L’UNESCO à son tour émettra des recommandations. Après l’annonce présidentielle, les gouvernements successifs vont régulièrement communiquer sur sa volonté de mener ce projet à terme. Au fil du temps, les réformes annoncées semblent fortement s’éloigner du projet initial pour se rapprocher des recommandations des bailleurs de fonds comme l’AFD, l’Unesco et de la Banque mondiale comme la mise en place de l’approche par la compétence (APC), l’alignement de l’enseignement sur les standards internationaux définis par ces mêmes organisations, gel des embauches d’enseignants fonctionnaires, la priorisation l’enseignement professionnel et technique, …
PS. : En août 2024, pendant la clôture des Assises de Politique Nationale du Manuel Scolaire, Camélia NTOUTOUME- LECLERCQ, ministre de l’éducation nationale en exercice, a annoncé la création des premiers manuels d’enseignement conçus au Gabon pour le niveau secondaire. Cette annonce reste à nuancer car ces manuels seront édités et donc supervisés par l’éditeur français EDICEF via sa filiale EDIG basée au Gabon. L’information étant fraiche, il est trop tôt pour être fixé sur le contenu et l’orientation choisie lors de la rédaction des manuels car la mise sur le marché est prévue pour la fin d’année 2024.
b. Le problème des manuels scolaires et leur financement
« Le poison culturel savamment inoculé dès la plus tendre enfance, est devenu partie intégrante de notre substance et se manifeste dans tous nos jugements. »
Cheick Anta Diop
L’incapacité du Gabon a réformer son système éducatif depuis la période coloniale se reflète dans l’incapacité du pays à produire ses manuels scolaires et, plus largement, les contenus d’enseignement. Ce problème spécifique nous oblige à questionner la provenance des manuels utilisés dans l’enseignement au Gabon. Pour répondre à cette question, on a passé en revue la liste des 376 manuels recommandés pour l’année scolaire 2023/2024 par le Ministère de l’Education Nationale pour les cycles pré-primaire, primaire et secondaire. Ce qui nous a permis d’en tirer le graphique ci-dessous.
Le premier constat qu’on fait est celui de la continuité. A l’image de la période coloniale, la production et la distribution de manuels scolaires utilisés au Gabon reste un monopole français dominé, aujourd’hui, par les éditions EDICEF, Hachette, Hatier, Nathan ou Bordas. Les manuels conçus localement sont, quant à eux, l’initiative d’éditeurs indépendants comme les Editions NTSAME. De manière globale, l’absence de conception et de production locale des manuels scolaires s’explique par l’absence de financements et le manque d’initiatives publiques. L’institut Pédagogique Nationale (IPN), l’organe public chargé de concevoir et élaborer les programmes pédagogiques des différents niveaux d’enseignement , d’assurer la production et la diffusion des manuels scolaires et de mener l’innovation pédagogique, a perçu un budget de 500.000 FCFA annuel entre 2019 et 2022 d’après son directeur général. Son budget à été réhaussé à 3.000.000 de FCFA à partir de 2023 mais marqué par des problèmes de paiement. Un autre problème majeur est la situation de monopole accordé par l’Etat gabonais à au groupe français Hachette dans le domaine de l’éditions, une situation mise en évidence par Sylvie NTSAME (écrivaine et éditrice gabonaise) dans une déclaration de 2018 : « EDIG détient une convention d’exclusivité indéterminée depuis 30 ans ». Il existe bel et bien un partenariat conclu à la suite des états généraux de 1983 entre l’IPN (anciennement INRAP) et EDICEF, qui accorde une exclusivité à cette dernière et a conduit à la naissance de EDIG dont les premiers manuels sont mis en service en 1987. Cette situation de monopole facilite également la captation des subventions publiques destinées à la production de manuels par l’éditeur français EDICEF comme rappelait Sylvie NTSAME : « L’État gabonais subventionne seulement le livre scolaire. Cette subvention n’est accordée qu’à la multinationale Edicef/Hachette avec une société-écran les éditions gabonaises (Édig). Cette dernière continue à bénéficier d’un monopole, dans un pays où les lois ont évolué pour une libre concurrence.».
PS. : En août 2024, la ministre de l’éducation nationale a annoncé la mise en circulation de nouveaux scolaires pour le cycle primaire en remplacement des manuels actuels. En attendant le mise sur le marché de ces ouvrages et une probable mise à jour de la liste des manuels recommandés, on se réserve la possibilité de mettre à jour les chiffres ci-dessus.
4. Falsifications et orientation de l’histoire enseignée au primaire et au secondaire
a. Une histoire falsifiée et orientée racontée par l’ancienne puissance coloniale à son profit
« Ce que j’ai voulu dire c’est que l’histoire des sciences et les manuels n’ont pas fait justice au continent Africain et qu’il est important de les réécrire, de réajuster l’histoire des disciplines »
Pr. Grégoire BIYOGO, philosophe et Égyptologue gabonais
Les doutes sur la véracité de l’histoire enseignée dans les écoles du Gabon font partie des sujets majeurs dans différentes critiques sur de la construction de notre système éducatif. Mais comment le caractériser ? N’ayant pas trouvé de travaux ou d’études comparatives faisant état de falsifications dans les manuels d’histoire pour le cas du Gabon, on pas le choix d’entreprendre nous-même ce travail. Dans ce chapitre nous allons faire ressortir des cas avérés qui sont au pire, une falsification claire et nette ou au mieux, une volonté des auteurs des manuels cités d’orienter l’histoire et brouiller la compréhension des lecteurs. Pour ce comparatif, nous nous basons uniquement sur la “liste des manuels et ouvrages à caractère éducatif, recommandés dans les niveaux d’enseignement pré-primaire, primaire, secondaire, général, technique et professionnel”, pour le compte des années académiques 2022/2023 et 2023/2024 (la liste est établie par le ministère de l’éducation nationale du Gabon).
L’abolition de l’esclavage
Mentionné dans des ouvrages Super-efficace en histoire Géographie en 5e année ou Histoire-Géographie-EMC 4e – Ed. 2021 Hachette, le 27 avril 1848, la 2e abolition de l’esclavage est décrété en France et dans les colonies françaises (après le première abolition de l’esclavage de 1794 et son rétablissement en 1802 par Napoléon Bonaparte). D’après les différents manuels officiels qu’on a consulté, l’année 1848 et le milieu du XIXe siècle marquent la fin de l’esclavage au Gabon et dans les anciennes colonie françaises. Ce qui est, en réalité, faux et différent des faits historiques. Malgré le décret d’abolition signé en 1848, l’Etat Français maintien la pratique de l’esclavage mais change la dénomination. Pour assurer ses besoins de main d’œuvre, la France, comme les autres pays colonisateurs, légalise le travail forcé et met en place le système de “l’engagisme”. Dans ce nouveau système, les populations demeurent des sujets de la puissance coloniale et ne jouissent pas du droit de s’organiser de manière libre. Les déplacement forcés des populations sont maintenus pour assurer le travail dans les plantations et des chantiers d’infrastructure. Les réquisitions de personnes et le travail forcé sont maintenus, légalisés, et pratiqués par l’État français lui-même et les entreprises françaises. Plusieurs faits permettent d’attester du maintien de l’esclavage dans les faits. Parmi les plus connus, entre 1921 et 1934 (plus de 73 ans après les abolitions officielles), pour la construction de la ligne de chemin de fer « Congo-Océan », l’Etat français réquisitionne plus de 127.000 personnes « du Congo jusqu’au Tchad », qui vont être soumis au travail forcé pour un bilan d’au moins 17.000 morts (chiffres officiels). Durant les 2 guerre mondiales, des millions d’africains ont été réquisitionnés pour “participer à l’effort de guerre” assurant la production de denrées alimentaires pour les besoins de la métropole française et combattant pour la France. Pour le cas du Gabon, c’est surtout pour ses besoins l’exploitation forestière que la France réquisitionne le plus de bras. Ce n’est qu’en 1946 que le travail forcé sera aboli, marquant la vraie abolition de l’esclavage, en réponse à la montée des mouvements indépendantistes après la seconde guerre mondiale.
Dans sa Convention relative à l’esclavage 1926, la Société des Nations (actuelle ONU) défini l’esclavage par « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » des attributs incluant le travail forcé, la privation de liberté, les déplacements forcés. Une définition qui correspond parfaitement à l’état du travail dans les colonies françaises. Dans ce cas les auteurs des manuels ne souhaitent par rendre compte de l’histoire et des faits mais se contentent des décrets signés par la France pour établir le récit. Ils s’alignent sur la communication de l’état français et installent un récit qui ne correspond pas à la réalité des faits.
La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb
A la page 96 du livre d’Histoire-Géographie 2nde, éditions Hatier, on peut lire la phrase suivante : « Parti vers l’Ouest à la demande des rois d’Espagne, Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492. ». Même en voulant lire l’histoire uniquement à travers des yeux européens, l’affirmation reste extrêmement malhonnête. En 1960, l’archéologue norvégienne Anne STINE INGSTAD et son mari l’explorateur Helge INGSTAD, découvrent le site Viking de L’Anse aux Meadows en Amérique du nord. Un site qui a permis de dater des voyages de peuples scandinaves vers l’Amérique vers l’an 1000. D’autres études sur l’introduction de la patate douce dans le Pacifique Sud (dont The Sweet potato in Oceania: a reappraisal de Chris Ballard, Paula Brown, R. Michael Bourke et Tracy Harwood) a permis d’attester que les peuples polynésiens ont navigué vers l’Amérique et échangé avec des peuples d’Amérique du sud. Les voyages les plus récent des polynésiens ont été datés aux années 1000 après J.C. Bien avant les cas cités plus haut, de manière absolue, l’arrivée des premiers hommes continent américain entre 30.000 et 15.000 avant J.C, ayant nécessité des moyens de navigation, les indices de présences d’Africains ayant débarqué à plusieurs reprises sur le continent avant les explorations européennes excluent de fait une découverte du continent par Christophe Colomb en 1492.
La définition des grandes périodes historiques
A la page 16 du guide pédagogique Super-Efficace en Histoire Géographie Citoyenneté 4e année, éditions EDIG-EDICEF, on peut lire ceci : « Cerner les grandes périodes de l’Histoire permet de donner des repères. (…) Cette périodisation, utile pour donner du sens à l’Histoire (…) repose sur des grands marqueurs : l’Antiquité débute il y a environ 5 000 ans (- 3 200 avant J.-C.). Elle correspond à la fin de la Préhistoire avec l’invention de l’écriture. Elle prend fin à la chute de l’Empire romain en 476 et débute alors le Moyen-Âge. Celui-ci dure jusqu’à la découverte de l’Amérique en 1492. Suivent les Temps modernes, qui courent jusqu’à la Révolution française. L’époque contemporaine lui succède, qui s’étend jusqu’à nos jours. Ce découpage n’empêche pas que d’autres périodisations se superposent. ». Ce découpage eurocentré comprend don le 4 grandes périodes historiques qui sont : la Préhistoire, le Moyen-âge, les Temps Modernes et l’Epoque contemporaine, toutes marquées par des dates importantes de l’histoire européenne. Cette approche reflète une vision du monde qui place l’Europe au centre de l’histoire humaine, ce qui peut occulter ou minimiser l’importance des événements et des développements dans d’autres régions du monde. Est-il pertinent, dans notre cas, d’enseigner à des jeunes africains une histoire qui place l’Europe au centre de l’évolution humaine ? Cette vision de l’histoire, héritée de l’époque coloniale n’a plus de raisons d’exister dans une Afrique post-coloniale souhaitant bâtir son développement. L’histoire de l’Afrique étant marquée par des événements importants de l’évolution humaine comme l’apparition des premiers hommes, la naissance des premières grandes organisations humaines, la naissance des sciences, de l’agriculture, la construction de grands royaumes, une approche afro centrée a toute sa place dans l’éducation africaine.
Plus largement
Ce traitement se reflète également dans les expressions qui sont utilisées. Le terme « pacification » est utilisé pour décrire les répressions souvent brutales et meurtrières contre les rebêlions des locaux à l’encontre des colonisateurs. En mathématiques, le célèbre théorème de Thalès et la propriété de Pythagore, attribués aux grecs, sont en réalité créés et utilisés depuis l’Egypte pharaonique. La réquisition forcé de soldats durant les deux guerres mondiales est présenté comme un engagement des combattants africains pour en vue de défendre la France. La fin de l’esclavage et de la colonisation sont présentés comme des abolitions signées par la France. En réalité, la signature des indépendances a d’abord été contrainte par les révoltes répétées menées dans les colonies par les groupes indépendantistes, notamment aidés par les positions anti-colonialiste de l’Union Soviétique qui aboutit à la résolution 1514 (XV), déposée à l’ONU par Nikita Khrouchtchev (Chef de gouvernement de l’Union soviétique), a conduit à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de l’ONU en 1960.
De plus, le récit qui est construit ne permet pas de comprendre les enjeux et la construction des systèmes esclavagistes et coloniaux. Aider à défaire l’emprise coloniale, c’est d’abord comprendre les outils et les mécanismes qui ont contribué à ce système. C’est aussi comprendre le rôle joué par l’église catholique en approuvant dans un premier temps l’esclavage et la traite négrière puis en participant à entreprise coloniale par le conquête morale et l’aliénation culturelle par le biais de la religion, vu l’importance de cette dernière dans nos sociétés actuelles. C’est également comprendre l’importance qu’ont eu la cartographie des ressources du sol africain et le besoin de séparer certaines populations à des fins de contrôle dans le découpage des frontières pendant la conférence de Berlin en 1885.
Considérant l’importance de l’histoire dans la compréhension du présent, construction d’un récit national, il est inconcevable qu’un récit traité de la sorte soit enseigné à l’école. D’où l’importance pour un Etat d’avoir un contrôle sur son système éducatif et de l’adapter à ses besoins.
b. A quelles fins
« L’école dans les colonies aura surtout permis d’asseoir la domination des colonisateurs. Finalement, il n’aura jamais été question de « former des citoyens éclairés » mais plutôt de simples auxiliaires à la domination française. » Carole REYNAUD-PALIGOT, historienne et professeur d’Histoire et de sociologie à l’université de Bourgogne
Après avoir parcouru différents manuels d’histoires, pris en compte les intentions de auteurs, l’évolution de l’enseignement depuis les décolonisations et les principaux acteurs qui l’influencent, nous déduisons que l’enseignement de l’histoire permet de mettre en évidence les objectifs suivantes :
– Minimiser les apports scientifiques, culturels, philosophiques des peuples et civilisations africains dans l’évolution du monde (l’écriture, la philosophie, la médecine, les sciences, …)
– Positionner les civilisations européennes au centre des avancées ayant permis l’évolution de l’humanité. Accorder aux civilisations européennes la primauté sur les avancées ayant conduit au progrès humain. Et par conséquent induire une supériorité des normes et cultures européennes sur celles issues du reste du monde. Inculquer aux élèves une vision centrée sur l’Europe au détriment de leur paradigme. Ce qui est à la base d’une domination culturelle.
– Minimiser l’impact et les conséquences des actions et horreurs commises en Afrique par les Etats européens dont la France durant la traite négrière et la colonisation. Orienter les récits historiques en choisissant de modifier ou d’occulter la réalité derrière l’idéologie et les intérêts qui ont motivé l’action européenne de l’époque jusqu’à nos jours.
– Mettre en avant des bienfaits supposés apportés par les colons pendant l’esclavage et la colonisation. A croire que l’asservissement d’un peuple par la privation de liberté, l’esclavage, des meurtres de masse et le travail forcé peut être atténué l’apports de la « civilisation européenne ».
De notre point de vue, aucune raison sensée ne justifie le fait que l’éducation et les programmes pédagogiques soient dans la continuité de ceux qui a été mis en place pendant la colonisation par la France et que les manuels scolaires aient été laissés aux mains des mêmes éditeurs français et ce jusqu’à nos jours. Et ce lorsqu’on met en parallèle le rôle attribué à l’école dans la défense des intérêts coloniaux de la France avant les “indépendances”. Des intérêts qui sont par essence opposés aux besoins de développement des nations africaines.
5. Les obstacles à la mise en place d’un enseignement tournée vers les intérêts nationaux ?
a. La main mise des organisations internationales
« Dans la mondialisation, qui mondialise et qui est mondialisé ? Qui est le sujet et qui est l’acteur ? » Joseph Ki Zerbo, historien et homme politique burkinabé
Etant en incapacité de porter des réformes ambitieuses de son système éducatif, le Gabon s’est toujours contenté des directives et résolutions portées par des organismes internationaux pour orienter les politiques majeures dans le domaine de l’enseignement. L’UNESCO, en tête de fil, ou encore l’OIF (l’Organisation Internationale de la Francophonie), l’AFD (Agence Française de Développement), l’ADEA (Association pour le Développement de l’Education en Afrique fondée par la Banque Mondiale) sont les organismes à l’origine d’évolutions majeures dans le domaine de l’Education. Comprennent-ils mieux que nous nos problèmes dans le domaine de l’enseignement ? Sont-ils les mieux placés pour organiser l’évolution de l’école en Afrique ?
Dans les années 1960, en plus des besoins d’adaptations des systèmes éducatifs (qui vont être abandonnés ou relégués au second plan), l’UNESCO positionne au rang de priorité l’accès à l’éducation de base pour tous. L’Etat gabonais suit le mouvement et fait passer la loi N° 16/66 du 09/08/1966 dont l’objectif principal est de garantir et faciliter l’accès à l’école. Quel intérêt de déployer à grande échelle un enseignement non réformé et façonné par le colonialisme.
Dans les années 1970 et 1980, l’UNESCO a soutenu la priorisation du développement de l’enseignement technique et professionnel. Le but affiché est de préparer les jeunes à intégrer le marché du travail. Le Gabon emboîte le pas. Le lycée technique national Omar Bongo est fondé à la fin des années 70, les états généraux de l’éducation de 1983 ont comme priorité, l’adéquation entre l’enseignement professionnel et les besoins du marché du travail.
Depuis les années 2010, ce sont les Objectifs de Développement Durables (ODD) portés par l’ONU qui ont une influence importante dans les évolutions de l’éducation au Gabon. Les nouveaux objectifs pour l’éducation sont la promotion de l’égalité homme-femme et la lutte contre les discriminations dans l’enseignement, la promotion de l’entrepreneuriat, la promotion d’une école plus mondialisée, la préservation de l’environnement. Là encore, le Gabon emboîte le pas. Depuis quelques années, la promotion de l’entrepreneuriat est devenue un sujet prioritaire dans le domaine de l’éducation. En 2022, Camélia NTOUTOUME-LECLERCQ, ministre de l’Education Nationale, annonçait une série de 33 mesures, dont certaine étant destinées l’éducation, issues de la stratégie d’égalité homme-femme menée par le gouvernement. Dans la même période, l’initiation à l’éducation environnementale a été annoncée dans les nouveaux programmes d’enseignement.
PS. : les points listés ci-dessous n’ont pas pour but de critiquer de manière fortuite les évolutions apportées à l’école gabonaise. Bien sûr qu’il est important de disposer d’un enseignement technique et professionnel. Il est important rendre accessible l’éducation au plus grand nombre, cependant le contenu de l’enseignement est d’une importance au moins égale. Pour nous, ce qu’il y a d’inquiétant est le fait que les évolutions importantes et l’orientation de l’école gabonaise soient le résultat de décisions prises par des institutions qui sont déconnectées des intérêts nationaux, dont les intérêts incitent à se poser des questions et dont on peut douter des bonnes intentions. Le tout sans considération pour la culture, l’histoire, les problèmes et les aspirations des gabonais. De la même manière qu’il n’existe pas de modèle politique qui soit universel et duplicable dans toutes les cultures et à tous les peuples. Il n’existe pas de modèle économique qui soit universel et duplicable dans toutes les cultures et à tous les peuples. Un modèle d’enseignement unique ne peut convenir à tous peuples et à toutes les nations de la même manière, d’où l’importance de penser l’éducation localement suivant les besoins spécifiques du pays avant de se tourner vers l’extérieur.
b. Une dépendance aux financements internationaux qui inquiète
« La main qui donne est celle qui ordonne. » proverbe populaire
Il y a un dicton assez populaire qui dit « La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. » (Traduction : Celui qui donne a le pouvoir sur celui qui reçoit). C’est ce qui nous vient à l’esprit quand on s’intéresse aux financements des projets annoncés par le Ministère de l’Education Nationale. Le Gabon dépend énormément de fonds étrangers pour financer les réformes, l’infrastructure et lois dans le secteur de l’éducation. En 2016, l’AFD accorde un prêt de 100 milliards de FCFA au Gabon pour la construction de nouvelles salles de classe. La même année 100 millions de $ (soit 59,3 milliards de FCFA) sont accordés par la Banque Mondiale pour le renforcement de l’enseignement professionnel. En 2022 la Banque Africaine de Développement (BAD), accorde un prêt de 84,63 millions d’€ (soit 56,9 milliards de FCFA) pour le renforcement de l’enseignement technique et professionnel. Le financement étranger peut ne pas être un problème, sauf quand le bailleur vient avec un agenda et des injonctions déjà définis à l’avance. Question de souveraineté nationale.
En 1982, le financement d’un projet de réformes issues de recommandations de l’UNESCO était assorti de conditions telles qu’un contrôle des bourses d’études, de la gestion des crédits de fonctionnement des établissements scolaires ou encore un contrôle du processus d’appels d’offres pour la réalisation des marchés et conventions. Quel intérêt pour l’UNESCO d’avoir un contrôle sur les prestataires choisis par l’Etat Gabonais ? Plus récemment depuis les années 2010, les financement d’organisations telles que l’AFD, le FMI ou la Banque Mondiale sont régulièrement assortis de conditions et d’indicateurs allant dans le sens des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU.
Ce mode de financement est régulièrement critiqué par certains dirigeants africains qui le perçoivent comme une forme d’ingérence dans les affaires internes de pays africains. Amadou TOUMANI TOURE, président du Mali entre 2002 et 2012, déclarait dans ce sens : « Le FMI a exigé que nous gelions le recrutement des instituteurs et des professeurs de lycée afin que nous puissions mieux maitriser la masse salariale… Or, au fil des années, nos infrastructures scolaires se sont développées et nos besoins ont été revus à la hausse ; nous avons donc été contraints de recourir à des contractuels » une manière de critiquer la politique d’austérité et de contrôle des dépenses dans l’enseignement imposée par le FMI.
6. Les conséquences
Il est important d’apporter une précision : tout n’est pas négatif dans l’école africaine. Le niveau en sciences des lycéens sortants de certains pays africain (Cameroun, Sénégal, Gabon, …) garde une certaine réputation à l’international. Même si pour le cas du Gabon, certaines voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer une baisse globale du niveau en sciences. De plus le système éducatif seul ne peux expliquer l’état de pauvreté et les difficultés rencontrées dans de nombreux pays d’Afrique.
a. Un système incapable de penser des solutions adaptées aux besoins locaux et déconnectée des enjeux du développement local
« le colonisé ou l’ex colonisé ressemble un peu à cet esclave du XIXe siècle qui, libéré, va jusqu’au pas de la porte puis reviens à la maison car il ne sait pas où aller. Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maître » Cheick Anta Diop, historien et scientifique africain, une boussole pour de nombreux historiens en scientifiques africains
Il existe des nombreux cas dans lesquels l’enseignement parait déconnecté de son rôle dans la résolution de problèmes locaux et la sauvegarde des intérêts nationaux. La conséquence d’une école qui n’a jamais été pensée et construite pour contribuer au développement local. Le système éducatif s’inscrit encore dans la continuité de l’école coloniale et ses évolutions se font la base d’agendas définis par des organismes internationaux. Et dans de nombreux cas, on se contente de copier ce qui se fait en occident.
Le cas du domaine de la construction
Le cas du domaine de la construction est assez évocateur dans ce sens. Pour la construction de logements ou des infrastructures urbaines, le choix des matériaux de construction doit tenir compte des contraintes telles que climat, le confort des habitants, la durabilité ou les besoins en matière d’entretien. L’usage du ciment tel qu’il est aujourd’hui dans la construction a été introduit pendant la période coloniale. Il était rare et réservé aux logements des colons et des élites locales. Sans être le matériau à disposition le moins couteux ou le mieux adapté aux climats locaux, sa production nécessite de grandes quantités d’énergies et ses propriétés thermiques sont globalement inadaptés aux pays chauds car il stocke facilement la chaleur et la transfère à l’intérieur des logements. Sans qu’il soit vraiment questionné au quotidien, le ciment s’est imposé dans la construction par l’image prestigieuse qu’il a acquis durant la période coloniale. Contrairement à la terre crue ou cuite qui, elle, faisait déjà partie des principaux matériaux utilisés dans la construction de logements par les populations locales. Contrairement au ciment la terre crue ou cuite stocke très peu la chaleur et maintien des températures basses en intérieur. L’abondance de la latérite ou de l’argile nécessaire à sa fabrication permet des coûts plus bas et limite les dépendances aux importations extérieures dans le secteur du BTP. Ainsi dans une tribune publiées le 21 mai 2024, Adrien NKOGHE ESSINGONE, ancien ministre gabonais de l’Habitat, déclarait à propos de l’utilisation de la terre cuite : « Cette alternative représente une solution à plusieurs de nos problèmes actuels. Les blocs de terre crue, en particulier, offrent une excellente isolation thermique, conservant la fraîcheur des habitats sans nécessiter un recours excessif aux systèmes de climatisation. Ce choix matériel est d’autant plus pertinent que notre pays regorge de latérite, une ressource abondante qui pourrait rendre ce type de construction économiquement compétitif. ».
Le rapport avec le système éducatif ? Dans l’enseignement technique et professionnel, incluant le génie civil et le BTP, 100% des programmes et 100% des manuels utilisés et recommandés par le ministère de l’éducation nationale sont des productions françaises. A l’image des contenu de l’enseignement, ces ouvrages sont conçus suivant des réalités et des problématiques différentes des nôtres. Les critères à remplir pour un logement sont différents selon qu’on est basé en Europe ou en Afrique. Le climat, les besoins et les ressources disponibles pour la construction ne sont pas les mêmes en France et au Gabon. Il n’est donc pas pertinent que la formation au Gabon soit une copie de celle qui est dispensée en France. Si les élèves ne sont pas formés sur la base besoins et des problématiques propres au pays, il est évident que leur formation les détournera des solutions les mieux adaptées.
Le cas de la santé et des médecines africaines
Des problèmes du même ordre existent dans le domaine de la santé même si ce cas paraît plus complexe. Il existe un paradoxe persistant en Afrique et au Gabon en particulier dans le domaine de la santé. Alors qu’en 2022, d’après l’OMS, près de 70% des populations africaines avaient recours à la médecine traditionnelle pour des soins de santé, les politiques de santés publiques dans le domaine, de la formation à la pharmacie en passant par les soins, sont tournées vers la médecine occidentale dite moderne.
Les écoles de médecine sont basées sur le modèle et les standards occidentaux. Un modèle qui sait apporter des solutions efficaces mais peine à trouver des solutions concrètes à certaines maladies endémiques présentes sur le continent comme le paludisme ou la malaria dont certaines sont connues et traitées depuis des siècles par les médecines traditionnelles africaines. Ce modèle a pour conséquence de marginaliser les médecines locales en les considérant à tort comme non scientifiques et expérimentales. Cela est d’autant plus paradoxal que ces remèdes traditionnels pourraient offrir des solutions accessibles et durables dans un contexte où les ressources économiques sont limitées et où l’accès aux soins dits modernes reste un défi pour de nombreuses populations.
Intégrer les savoirs traditionnels à l’enseignement de la médecine peut s’avérer être un atout, en particulier pour le traitement de maladies déjà bien connues et traités efficacement et à moindre coût par les techniques locales. Les milliers de plantes qui composent la flore locale et dont les agent actifs servent de base pour la fabrication de médicament aussi bien pour la médecine locale que pour la médecine occidentale sont à notre portée. Servons-nous.
Plus largement
Plus largement, sur le plan de la souveraineté, le système éducatif peine à être à la hauteur. Le Gabon et son économie dépendant principalement de l’exploitation des ressources minières et des hydrocarbures dépendent de l’extérieur pour cartographier, identifier et valoriser les ressources présentes dans notre sous-sol. Pourquoi ne pas former des experts nationaux et construire des écoles de pointe pour mieux maitriser la chaîne de valeur de ces domaines stratégiques pour le pays. D’autres domaines comme la production alimentaire sont également concernés, le pays importe 80% des besoins alimentaires (le taux monte 96% pour les viandes et produits carnés) mais forme très peu dans ce domaine.
b. Aliénation, acculturation et appropriation du mode de vie
« Pour qu’une vérité soit valable et objective, il faut qu’elle sonne blanche »
Cheick Anta Diop, historien et scientifique, légende du continent
Le “cercle d’existence” d’un peuple fait référence à l’ensemble des éléments qui constituent la vie quotidienne et la continuité de ce peuple. Cela inclut ses traditions, ses pratiques culturelles, ses structures sociales, ses modes de subsistance, ses croyances religieuses, ses langues, et ses interactions avec l’environnement. Il peut se résumer par la culture et le mode de vie d’un peuple dans son espace (cadre, contexte) culturel. Le phénomène d’aliénation culturelle, quant à lui, se caractérise par le perte ou le rejet des éléments constitutifs de sa culture au profit d’une autre. Ce qui inclut les éléments du cercle d’existence. Dans le cas des anciennes colonies, l’aliénation culturel connue actuellement est un processus initié par une volonté de soumission et de domination des peuples africains par les européens depuis leurs arrivées sur les côtes africaines.
Par la place qu’il occupe dans le développement intellectuel de notre jeunesse, le système éducatif est un instrument qui aide à façonner nos connaissances et nos rapports vis-à-vis du monde, de l’Etat, de ses institutions et des modes de gouvernance. Il impacte nos modes de vie car il aide à construire notre rapport à notre histoire, à notre environnement.
Parce ce qu’il s’inscrit dans la continuité de l’œuvre coloniale, par la manière dont l’enseignement de l’histoire et le civisme se font autour de la vision occidentale. Les sciences, les disciplines artistiques, la littérature tournent autour de la vision occidentale et minimisent le rôle et l’initiative des peuples africains. Le tout participe à une déconnexion des éléments constitutifs des cultures africaines. Il favorise l’érosion des traditions en marginalisant les savoirs traditionnels. Il contribue à l’abandon des techniques endogènes de subsistance (l’agriculture, l’élevage, la chasse, la pêche) et favorise une dépendance aux ressources extérieures. Il contribue à ériger un mode d’organisation de l’Etat des pouvoirs publics façonné pour des société fondamentalement différente des nôtres (l’organisation de l’état gabonais était directement inspiré du code napoléonien publié en 1804 pour organiser les pouvoirs et le droit durant le régime de la 1ère en république en France).
c. Des africains au service des intérêts occidentaux
« Notre cerveau est comme un petit village d’Afrique victime de l’exode rural ; il y a des cases vides. »
Jonathan MUCHEMBLE
Qui profite le plus de l’école gabonaise ? Le système éducatif produit-il des individus façonnés pour défense l’intérêt et de la vision occidentale ? Quel conséquence au fait de laisser d’autres puissances décider de ce qui est dans nos manuels scolaires ?
Il existe une volonté affirmée de certaines puissances mondiales de disposer de ressources africaines. Les richesses du sous-sol ne sont pas les seules concernées. Les cerveaux suscitent également un intérêt important.
Dans un article sur la fuite des cerveaux (disponible en cliquant ici), on évoquait la facilité avec laquelle les Etats et entreprises occidentales parviennent à attirer des cerveaux et de la main d’œuvre qualifiée africaines. Dans cet article, il était notamment question des enjeux économiques et politiques. On évoquait le fait que former les cadres et l’élite dirigeante des pays africains est un moyen efficace pour l’occident de diffuser son idéologie, de pérenniser une domination culturelle, intellectuelle et de garantir ses intérêts en Afrique. Former des dirigeants africains acquis à leurs visions et principes moraux permet de s’assurer une influence sur le continent. Sur le plan économique les migrations vers l’occident permettent de contribuer au financement des universités d’accueil et de garantir un afflux de main d’œuvre qualifiée dans un contexte de stagnation ou de baisse démographique au sein des pays dits développés. Les systèmes éducatifs actuels en Afrique francophone sont des accélérateurs de ce phénomène. Car il produit des individus suivant un modèle déconnecté de nos réalités mais directement pensé selon des agendas occidentaux.
Pour de nombreux diplômés africains, il y a une facilité à se projeter ailleurs que chez soi. Poussés par l’idée selon laquelle, une fois diplômé, c’est en occident qu’on peut pleinement mettre en pratique ses compétences et exprimer son potentiel. Les économies plus industrialisées, les niveaux de rémunération et les sociétés perçues comme mieux organisées, correspondent mieux aux aspirations et aux contenus des formations reçues pendant les études supérieures. Cette manière de penser nous parait logique si on part du principe que si les apprenants sont instruits à la manière occidentale, suivant une idéologie et des techniques venant d’occident, il est, de ce point de vue, logique que l’occident soit l’endroit approprié pour mettre en pratique les compétences acquises. Et même en restant au pays, on fantasme un développement calqué sur l’image qu’on a de l’occident et les multinationales internationales implantés localement restent les entreprises privilégiées pour y exercer et renvoyer une sentiment de réussite.
L’enseignement se doit d’être adapté aux réalités de son environnement. L’économie en Afrique n’est pas régie par des codes différents de ceux de l’occident, le BTP ne répond pas aux mêmes besoins, le droit répond à des codes moraux différents, les besoins en matière de consommation sont différents. De plus, se contenter calquer maladroitement son enseignement sur celui d’un état plus avancé techniquement, est le meilleur moyen de faire naître une dépendance économique et technique vis-à-vis de cet Etat. Couplé à l’absence de financements conséquents dans la recherche locale, nous condamnons l’Afrique à être un débouché économique pour l’ensemble des industries mondiales avec plus d’un milliard de consommateurs à servir.
7. Vers un système éducatif afro-centré (ou porté par un regard et des solutions endogènes) ?
Le dictionnaire Le Robert définit la souveraineté comme le caractère d’un État qui n’est soumis à aucun autre État. Autrement dit, la capacité d’un Etat à faire respecter ses intérêts et à protéger son mode de vie. Pour un Etat, la souveraineté nécessite la capacité à s’affirmer sur les plans économique, culturel, alimentaire, de la défense, etc… Être en mesure de pouvoir puiser en son sein les éléments nécessaires à son fonctionnement (ressources énergétiques, intellectuelles, alimentaires, …) est pour un Etat, l’une de bases de sa quête de souveraineté. Un système éducatif qui favorise la préservation des intérêts nationaux peut contribuer de manière efficace à une quête de souveraineté.
Parler d’une école afro-centrée, c’est parler d’une école construite sur la base d’un paradigme africain et qui oriente la boussole des apprenants vers les réalités africaines. L’éducation afro-centrée place l’Afrique et ses peuples au centre de l’analyse historique, culturelle, et sociale. Elle valorise les histoires, les cultures, les langues, et les traditions africaines, ainsi que celles des communautés afrodescendantes à travers le monde.
a. L’Afrique et ses civilisations vieilles de plusieurs millenaires comme base de l’enseignement de l’histoire
« L’éducation des peuples africains est une nécessité pressante. C’est une question de vie ou de mort ? Nous ne devons plus permettre une nouvelle génération d’enfants n’ayant aucune identité et ignorant tout de l’Afrique »
L’histoire millénaire du continent et de ses différentes régions nous offre une base considérable pour l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les écoles. Elle offre une opportunité unique de forger une identité collective, de valoriser les patrimoines culturels locaux, et de déconstruire les stéréotypes hérités de la colonisation. L’enseignement peut être enrichi par une meilleure connaissance des peuples (bantous, peuls, pygmées, …), des royaumes (Egypte pharaonique, royaume Kongo, royaume de Koush, empire du Ghana …) et des personnages importants (Soundiata Keïta, Toussaint Louverture, Nzinga Mbande, Zumbi dos Palmares, Thomas Sankara, …) de l’histoire du continent.
Un enseignement de l’histoire basé sur une compréhension des dynamiques ayant conduit à l’Afrique actuelle dans les programmes scolaires est essentielle pour redonner aux Africains le contrôle de leur récit historique, nourrir un sentiment de fierté et d’appartenance et préparer les jeunes générations à affronter les défis contemporains avec un regard ancré dans leur propre héritage culturel et historique. Cela demande des efforts concertés pour développer des curricula adaptés, des matériels pédagogiques adaptés et une formation continue des enseignants sur ces thématiques.
b. L’identité propre comme base de la socialisation et de la communauté nationale
« L’identité est l’une des questions cardinales de la vie et dans la vie d’un être humain. En effet, lorsqu’on a tout appris dans le monde et du monde, et que l’on ne sait rien sur soi-même ; l’on n’a rien appris. Car la première et la plus importante des connaissances, est la connaissance de soi. Auquel cas, on n’est pas autre chose qu’un aliéné.
Voilà pourquoi, il est crucial que l’école afrocentrée mette un accent particulier sur l’étude de l’identité Africaine par le truchement de sa culture multidimensionnelle …
C’est aussi dire que l’identité est ce qui constitue notre spécificité en tant qu’être humain (pris individuellement), et ensuite, en tant que groupe humain, en tant que peuple parmi d’autres peuples. L’identité implique donc un référentiel culturel propre à soi, un paradigme propre à soi. C’est-à-dire, propre à son univers culturel et identitaire. » Stephan KONDA MAMBOU, Main basse sur les programme d’enseignement ? , editions Edilivre, 2020.
Partant de ce principe, il est possible, sur la base de l’identité propre des peuples, de construire une philosophie commune, une justice, une vision, une éducation civique, …
c. L’apport des techniques et savoir-faire traditionnels
« on (les européens) ne pouvait pas accepter que les noirs aient été dépositaires de ces cultures, de ces pyramides, des mathématiques, de la philosophie, de la médecine. Ce n’était pas possible de l’accepter dans le contexte colonial et néocolonial »
Pr. Grégoire BIYOGO
Les sciences et techniques endogènes peuvent, dans des bien précis, nous offrir des solutions déjà éprouvées dans le temps. Les connaissances, accumulées et transmises sur des générations, dans des domaines variés (agriculture, médecine, construction, justice, …), sont le reflet d’une profonde compréhension de l’environnement naturel, des écosystèmes, et des dynamiques sociales. L’intégration des techniques ancestrales africaines dans l’enseignement scolaire peut enrichir l’éducation en offrant des perspectives et des approches uniques qui valorisent les savoirs traditionnels. Ces techniques, ancrées dans des pratiques culturelles et historiques riches, peuvent être adaptées pour répondre aux besoins actuels tout en préservant et en valorisant l’héritage africain.
Le cas Yacouba SAWADOGO, “l’homme qui a stoppé le désert” :
Né en 1946, Yacouba SAWADOGO est un agriculteur et commerçant burkinabé connu comme étant l’homme qui stoppé l’avancée du désert dans son village de Gourga, situé dans la légion du Yatenga au nord du Burkina Faso. Dans les années 80, son village est confronté à une sècheresse et une désertification continue des sols qui touche plus généralement le nord du pays et met à mal la production agricole, provoque des famines et entraine des migrations de populations vers d’autres régions. Il décide de se tourner vers la technique ancestrale nommée “zaï” qu’il améliore. La technique consiste à creuser des trous dans le sol, les remplir de composte et se servir de pierres pour guider l’eau de pluie. Il entretien également une population de termites qui va creuser le sol afin de le rendre poreux pour mieux retenir les eaux de pluie. Le tout permet de mieux capter l’humidité et de d’irriguer le sols. La technique lui permet d’améliorer le rendement des sols et permet de faire pousser une foret qui s’étend sur 40 hectares aujourd’hui. La production agricole repart de l’avant permettant de régler les problèmes de famine. Il passe ensuite sa vie à transmettre ses techniques qui se diffusent dans son pays et dans d’autres régions désertiques du continent. Son travail lui vaut une reconnaissance nationale puis internationale marquée par le prix Nobel alternatif, le “Right Livelihood Award” en 2018 à Stockholm. Il décède en décembre 2023 en étant l’un des symboles de la richesse des techniques ancestrales et laisse derrière lui un héritage qui lui a valu d’être régulièrement célébré durant son vivant et après sa mort dans son pays d’origine.
Conclusion
Quel doit être la finalité des systèmes éducatifs locaux ? Devons nous célébrer des africains quand ils brillent pour des institutions étrangères ? Un africain qui travaille pour la NASA sert fondamentalement l’intérêt américain. Si cette situation a le mérite de démontrer que notre continent regorge de cerveaux brillants. La question est complexe car elle doit prendre en compte les contextes locaux, du besoin d’acquérir de nouvelles compétences et les différentes manières de servir l’intérêt de sa nation.
Dans les cultures africaines, le rapport à la nature est caractérisé par un respect profond et une reconnaissance du rôle vital de la nature dans la vie humaine, conduisant à une sacralisation de cette dernière. Quel intérêt de puiser ailleurs le contenu de l’initiation à la préservation de la nature dans l’enseignement scolaire quand les cultures locales savent nous apporter le matériau de base ?
Les problèmes anciens persistent encore aujourd’hui et les changements annoncés récemment sont peu convaincants. Le déploiement de l’Approche par la Compétence (APC) au collège après son intronisation dans l’école primaire, dont la pertinence pose question, est encore une initiative de l’UNESCO. La refonte des manuels scolaires annoncée pour l’école primaire, la 6e et la 5e sera portée l’éditeur EDICEF via sa filiale EDIG. Un symbole de la continuité.
L’objectif de cet article était de proposer une analyse de l’évolution du système éducatif actuel, ses finalités et les obstacles à la naissance d’une école taillée pour contribuer à l’essor du pays, entre manque de financements, inaction de l’administration publique, absence de réformes et influences étrangères. Parce que les écoliers d’aujourd’hui sont forces vives de demain et leur enseignement répond à des enjeux politiques, culturels, économiques, l’éducation nationale mérite une attention et un traitement à la hauteur de son rôle.
Fin.
Par Leynart MASSIMBA
Ogooué Education