[Partie 2] Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? L’absence de réforme des programmes d’enseignement au Gabon
3. 1960, indépendances et absence de changement : la continuité
a. L’absence de réformes des contenus de l’enseignement depuis la colonisation
« Avait-on sérieusement évalué la porté de l‘école coloniale ? Avait-on fait le tri sur l’ensemble des programmes d’enseignement en vue d’élaborer de nouveaux programmes et de ce fait donner une nouvelle orientation au système éducatif ? » Stéphan KONDA MAMBOU, auteur de l’ouvrage “Main basse sur les programmes d’enseignement”
Etant en mesure d’évaluer le rôle de l’éducation dans le système colonial et ses conséquences sur l’évolution des peuples, il nous paraît évident de penser qu’au lendemain des indépendances, les nouvelles autorités aient pris la mesure de l’importance du sujet. Pour ainsi travailler à une refonte du système éducatif en vue de défaire le formatage des esprits, la mentalité installée durant l’emprise coloniale française et restaurer une identité nationale fondée sur la culture et les aspirations des peuples gabonais. La réalité est bien différente. Les programmes d’enseignement n’ont connu aucune refonte significative depuis l’époque coloniale même si des projets de réforme ont souvent été annoncés au fil des décennies. Pour le comprendre, passons en revue quelques événements marquants l’année 1960.
23 juin 1956, Loi cadre Defferre : Une illusion d’autonomie
En 1956, pour tenter de calmer les mouvements indépendantistes et installer « un climat de confiance », la loi N°56-619, dite loi-cadre Defferre, est votée par l’état français. Cette loi accorde une “certaine autonomie” aux peuples colonisés dans la gestion de leurs territoires. Toutefois, les domaines jugés importants tels que l’économie, la monnaie, la sécurité ou l’éducation restaient sous le contrôle français. Les populations africaines sont ainsi privées du droit d’organiser elles-mêmes leur éducation.
17 août 1960 : l’Indépendance (ou pas)
Le 17 août 1960 une série d’accords (souvent nommés accord coloniaux) sont conclus entre la France et le Gabon lors de la déclaration d’indépendance. Ces accords prévoient notamment que le français reste la langue d’enseignement en république gabonaise. Les accords économiques ouvraient le marché gabonais aux éditeurs français sans restriction, facilitant une distribution au sein des écoles de manuels français reprenant un contenu identique à celui qui était pendant la colonisation. Allant dans le sens d’un maintien de l’influence française, ces accords ont également inclut la formation en France de la classe dirigeante gabonaise par l’octroi de bourses d’études (article 1 des accords de coopération en matière d’enseignement supérieur) ou en facilitant l’admission des étudiants gabonais comme indiqué dans les textes : « En outre, pour hâter la formation des cadres supérieurs de la République gabonaise, la République française, sur demande de la République gabonaise, s’engage à admettre, au titre de stagiaires dans ses établissements d’enseignement supérieur les étudiants gabonais titulaires des diplômes exigés » Article 3 des accords de coopération en matière d’enseignement supérieur du 17 août 1960 (des accords identiques sont signés avec d’autres anciennes colonies françaises).
Du 5 au 25 mai 1961 : Conférence internationale de l’Unesco à Addis-Abeba
En 1961, un an après la vague “d’indépendances” de l’année 1960, se tient un Congrès des ministres de l’éducation des pays d’Afrique francophone pendant la Conférence internationale de l’UNESCO à Addis-Abeba. De nombreux pays africains fraichement “indépendants” étaient représentés (Cameroun, République du Congo, RDC, Gabon, Ghana, Guinée, Mali, …), invités à dresser un inventaire des actions à mener pour développer une école adaptée aux besoins de développement des pays africains. A l’issue de la conférence plusieurs objectifs sont fixés à l’horizon 1980, parmi les plus importants, on a :
– Mettre en place une éducation de base accessible à tous les enfants ;
– Procéder à l’analyse des besoins en matière d’éducation, le financement et la mise en place de nouveaux programmes d’enseignement adaptés aux objectifs de développement du continent.
Loi 16/66 du 09 août 1966 : L’organisation du système éducatif gabonais
En 1966, la N°16/66 portant sur l’organisation générale de l’enseignement en république du Gabon entre en application. Le texte de loi porte principalement sur l’accès à l’éducation pour les enfants de 6 à 16 ans et sur l’organisation des différents cycles d’enseignement. Il organise l’école maternelle, l’école primaire, l’enseignement secondaire. Sans oublier l’enseignement technique et les formations professionnelles sensé former aux activités productrices. Aucune mention sur la refonte des programmes d’enseignement, le sujet semble ne pas avoir eu un caractère urgent.
1983, Les états généraux de l’éducation et de la formation : pour une école plus productive
Un an après une série de recommandations en matière d’éducation de l’UNESCO adressées au Gabon dans un document intitulé « Réforme et rénovation de renseignement » (1982), les premiers Etats généraux de l’éducation et de la formation organisée en 1983 sous la présidence d’Omar BONGO. Pami les conclusion, on note les besoins de régler le manque d’adéquation entre l’enseignement professionnel et les besoins du marché du travail, le réduction du taux d’échec scolaire ou encore le développement de la technique pour aider au développement économique. Vu l’ampleur et l’importance accordée à cet événement, on aurait pu s’attendre à des annonces concernant la refonte des programmes d’enseignement, en réponse aux objectifs fixés à l’issue des conférences de l’UNESCO de 1961 et 1964. Le sujet semble ne plus faire partie des priorités à ce moment.
17 et 18 mai 2010, deuxièmes états généraux de l’éducation : une version améliorée
En 2010, 27 ans après l’édition précédente, les Etats généraux de l’éducation, de la recherche et de l’adéquation formation-emploi sont organisés sous la présidence d’Ali BONGO. Dans ses conclusions, cette édition reprend une part importante des résolutions de l’édition précédente. En complément on retrouve de nouvelles résolutions comme la volonté de favoriser l’apprentissage de l’anglais depuis l’école primaire, l’introduction des langues nationales dans l’enseignement et un renouvellement des curricula de formation. Cette fois l’Etat annonce un projet de refonte et d’enrichissement des programmes d’enseignement (présentés sous terme curricula). Le projet est chiffré à hauteur de 2,747 milliards de FCFA et prend en compte l’enseignement de l’école maternelle au secondaire (366 millions pour le pré-primaire, 642 millions pour le primaire, 870 pour le secondaire et 869 millions pour l’enseignement professionnel et technique). Une annonce appelée à être concrétisé par projet de loi.
Août 2018, Lancement de la Task-Force présidentielle pour la réforme du système éducatif : Le passage à l’acte 58 ans apprès “l’indépendance” ?
Dans son discours à la nation du 16 août 2018, dans la continuité des états généraux de 2010, Ali BONGO ONDIMBA, président en exercice à l’époque, déclarait : « Notre système éducatif est en panne. Nous devons le réformer. J’en appelle ici comme ailleurs à une transformation en profondeur, car tout doit être remis à plat. … J’annonce également la mise en place dans les tous prochains jours d’une task-force sur l’Education. Celle-ci sera chargée de faire des propositions fortes, concrètes et d’application immédiate. ». Un moi après l’annonce, la Task-Force évalue son besoin de financement à 1,250 milliards de FCFA. Se pose ainsi la question financement, présenté dans les différentes actualités l’un des défis majeurs à la réalisation du projet. La France, souhaitant être impliqué dans le projet, manifeste son intérêt par l’intermédiaire de l’AFD (Agence Française de Développement) le mois suivant. L’UNESCO à son tour émettra des recommandations. Après l’annonce présidentielle, les gouvernements successifs vont régulièrement communiquer sur sa volonté de mener ce projet à terme. Au fil du temps, les réformes annoncées semblent fortement s’éloigner du projet initial pour se rapprocher des recommandations des bailleurs de fonds comme l’AFD, l’Unesco et de la Banque mondiale comme la mise en place de l’approche par la compétence (APC), l’alignement de l’enseignement sur les standards internationaux définis par ces mêmes organisations, gel des embauches d’enseignants fonctionnaires, la priorisation l’enseignement professionnel et technique, …
PS. : En août 2024, pendant la clôture des Assises de Politique Nationale du Manuel Scolaire, Camélia NTOUTOUME- LECLERCQ, ministre de l’éducation nationale en exercice, a annoncé la création des premiers manuels d’enseignement conçus au Gabon pour le niveau secondaire. Cette annonce reste à nuancer car ces manuels seront édités et donc supervisés par l’éditeur français EDICEF via sa filiale EDIG basée au Gabon. L’information étant fraiche, il est trop tôt pour être fixé sur le contenu et l’orientation choisie lors de la rédaction des manuels car la mise sur le marché est prévue pour la fin d’année 2024.
b. Le problème des manuels scolaires et leur financement
« Le poison culturel savamment inoculé dès la plus tendre enfance, est devenu partie intégrante de notre substance et se manifeste dans tous nos jugements. »
Cheick Anta Diop
L’incapacité du Gabon a réformer son système éducatif depuis la période coloniale se reflète dans l’incapacité du pays à produire ses manuels scolaires et, plus largement, les contenus d’enseignement. Ce problème spécifique nous oblige à questionner la provenance des manuels utilisés dans l’enseignement au Gabon. Pour répondre à cette question, on a passé en revue la liste des 376 manuels recommandés pour l’année scolaire 2023/2024 par le Ministère de l’Education Nationale pour les cycles pré-primaire, primaire et secondaire. Ce qui nous a permis d’en tirer le graphique ci-dessous.
Le premier constat qu’on fait est celui de la continuité. A l’image de la période coloniale, la production et la distribution de manuels scolaires utilisés au Gabon reste un monopole français dominé, aujourd’hui, par les éditions EDICEF, Hachette, Hatier, Nathan ou Bordas. Les manuels conçus localement sont, quant à eux, l’initiative d’éditeurs indépendants comme les Editions NTSAME. De manière globale, l’absence de conception et de production locale des manuels scolaires s’explique par l’absence de financements et le manque d’initiatives publiques. L’institut Pédagogique Nationale (IPN), l’organe public chargé de concevoir et élaborer les programmes pédagogiques des différents niveaux d’enseignement , d’assurer la production et la diffusion des manuels scolaires et de mener l’innovation pédagogique, a perçu un budget de 500.000 FCFA annuel entre 2019 et 2022 d’après son directeur général. Son budget à été réhaussé à 3.000.000 de FCFA à partir de 2023 mais marqué par des problèmes de paiement. Un autre problème majeur est la situation de monopole accordé par l’Etat gabonais à au groupe français Hachette dans le domaine de l’éditions, une situation mise en évidence par Sylvie NTSAME (écrivaine et éditrice gabonaise) dans une déclaration de 2018 : « EDIG détient une convention d’exclusivité indéterminée depuis 30 ans ». Il existe bel et bien un partenariat conclu à la suite des états généraux de 1983 entre l’IPN (anciennement INRAP) et EDICEF, qui accorde une exclusivité à cette dernière et a conduit à la naissance de EDIG dont les premiers manuels sont mis en service en 1987. Cette situation de monopole facilite également la captation des subventions publiques destinées à la production de manuels par l’éditeur français EDICEF comme rappelait Sylvie NTSAME : « L’État gabonais subventionne seulement le livre scolaire. Cette subvention n’est accordée qu’à la multinationale Edicef/Hachette avec une société-écran les éditions gabonaises (Édig). Cette dernière continue à bénéficier d’un monopole, dans un pays où les lois ont évolué pour une libre concurrence.».
PS. : En août 2024, la ministre de l’éducation nationale a annoncé la mise en circulation de nouveaux scolaires pour le cycle primaire en remplacement des manuels actuels. En attendant le mise sur le marché de ces ouvrages et une probable mise à jour de la liste des manuels recommandés, on se réserve la possibilité de mettre à jour les chiffres ci-dessus.
A suivre…
Par Leynart MASSIMBA
Ogooué Education